L’après-midi du premier jour du salon a été consacré au premier panel, dont le thème est « la santé psychologique au travail et le cadre juridique en matière de harcèlement ». Cette session, modéré par Madame Sangaré Mariame, Directrice des Ressources Humaines de la Nouvelle Parfumerie Gandour, a réuni trois spécialistes :
le professeur KOUASSI Mathias, professeur titulaire de médecine du travail à l’Université Félix Houphouët-Boigny ;
le Dr COULIBALY Fagneriba, représentant de la Direction Générale du Travail ;
et Monsieur BOLLOU Bi, Président de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation.
L’objectif de cette rencontre était d’examiner la reconnaissance des affections psychiques liées aux conditions de travail, d’identifier les limites du cadre réglementaire actuel et de proposer des pistes d’amélioration.
Premier à intervenir, le professeur KOUASSI Mathias a mis en évidence que les maladies psychiques résultant des risques psychosociaux, comme la dépression, l’anxiété et le syndrome de stress post-traumatique, sont désormais reconnues comme pouvant être d’origine professionnelle dans certains pays.
Il a expliqué que le harcèlement, les violences ou des conditions de travail excessivement stressantes peuvent engendrer ces troubles, compromettant ainsi la santé mentale des travailleurs. Cependant, dans de nombreux pays, dont la Côte d’Ivoire, la reconnaissance officielle de ces affections reste limitée en raison des contraintes réglementaires et de la difficulté à établir un lien direct entre la maladie et l’environnement de travail.
Il a également souligné que ces pathologies sont souvent influencées par plusieurs facteurs, tels que des éléments individuels, familiaux et sociaux, qui rendent leur prise en charge encore plus complexe. Pour remédier à cette situation, un dispositif de suivi permettant d’enregistrer les cas de harcèlement et de stress chronique a été évoqué comme une solution envisageable afin d’assurer un meilleur accompagnement des victimes. En s’appuyant sur des exemples de reconnaissance internationale, le professeur KOUASSI a montré que certains pays européens, notamment la France, l’Italie, l’Espagne, la Suède et le Danemark, ont adopté une approche plus protectrice en définissant des procédures spécifiques pour la reconnaissance des maladies psychiques comme maladies professionnelles. Dans ces pays, les travailleurs victimes d’un environnement professionnel toxique peuvent bénéficier d’une prise en charge lorsqu’ils sont en mesure de prouver l’impact direct des conditions de travail sur leur santé mentale.
Il a présenté des cas concrets, comme ceux de gardiens de prison exposés à des violences extrêmes, d’enseignants confrontés à des humiliations et de policiers régulièrement confrontés à des scènes traumatisantes. Ces situations ont été reconnues comme génératrices de syndromes de stress post-traumatique ou de dépressions graves, ouvrant ainsi droit à une reconnaissance en maladie professionnelle ou en accident du travail, selon les circonstances.
L’état des lieux de la réglementation ivoirienne indique que la reconnaissance des maladies psychiques liées au travail est encore absente du cadre juridique. Le professeur KOUASSI Mathias a donc proposé plusieurs actions pour pallier cette lacune et améliorer la prise en charge des travailleurs confrontés à ces affections. Il a insisté sur la nécessité de mener des études approfondies pour mieux cerner l’ampleur du phénomène et de déclarer officiellement les affections psychiques comme maladies professionnelles. Cette évolution permettrait non seulement d’adapter les réglementations en vigueur, mais aussi d’ouvrir des droits à réparation pour les travailleurs affectés.
Une autre recommandation majeure concerne la création d’un cadre réglementaire spécifique pour la réparation des dommages psychiques liés aux conditions de travail. Pour y arriver, la mise en place d’une commission chargée de réviser la liste des maladies professionnelles a été suggérée, avec pour mission d’intégrer de nouvelles pathologies comme le burnout et le syndrome de stress post-traumatique. Cette reconnaissance réglementaire permettrait d’établir des critères clairs pour identifier les situations de harcèlement, de surcharge de travail ou d’agressions professionnelles pouvant être à l’origine de ces maladies.
En outre, l’amélioration de la formation des médecins du travail a été mise en avant par le professeur comme une priorité. Il a été souligné que ces professionnels doivent être mieux formés aux aspects psychologiques du travail afin de mieux détecter les troubles liés aux conditions professionnelles et d’orienter les travailleurs vers des dispositifs de prise en charge adaptés.
Le Dr Coulibaly Fagneriba, médecin et inspecteur du travail, et second intervenant au cours de ce panel, a pris la parole pour aborder la question de la promotion du rôle de l’inspection du travail comme un moyen essentiel de protection des travailleurs. Il a mis en avant leur implication dans la détection, la prévention et la lutte contre les risques psychosociaux en entreprise. Selon lui, la direction du travail joue un rôle fondamental dans la veille et la protection des travailleurs, notamment en matière d’accidents de travail. À travers ses actions, elle permet d’identifier et de définir les risques professionnels.
Le Dr Coulibaly Fagneriba a expliqué également que la direction du travail mène diverses activités articulées autour des inspections en entreprise. Ces inspections visent à évaluer les conditions de travail, à identifier d’éventuelles infractions et à garantir le respect des réglementations en vigueur. En parallèle, la direction reçoit régulièrement des plaintes de travailleurs et les traite à travers des enquêtes. Ces investigations aboutissent à la publication de rapports destinés à éclairer les décisions prises pour assurer une relation harmonieuse entre employeurs et employés.
Le troisième intervenant, M. BOLLOU BI, Directeur de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation, a pris la parole pour exposer la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation en matière de contentieux du travail lié au harcèlement. Il a expliqué que le travailleur victime de harcèlement sexuel au travail a le droit de mettre fin à son contrat et de réclamer réparation pour les préjudices subis. Il en va de même pour un employeur qui se retrouverait victime d’un de ses employés. Dans de telles situations, la première démarche recommandée est de saisir le tribunal du travail afin que justice soit rendue.
Il a insisté sur l’importance de ne pas attendre la reconnaissance officielle des maladies psychiques comme maladies professionnelles pour agir. Les victimes doivent dénoncer ces faits dès maintenant en saisissant les juridictions compétentes. Plusieurs éléments de preuve peuvent être utilisés pour établir l’existence d’un harcèlement, notamment les messages SMS, les images et d’autres supports numériques. Il a rappelé que le harcèlement est une infraction pénale et qu’il doit être traité avec rigueur.
M. BOLLOU Bi a également précisé que la Cour de cassation intervient dans ces affaires sur la base des rapports médicaux établis par les professionnels de santé. Ces rapports permettent d’évaluer l’impact du harcèlement sur la victime et d’orienter la prise de décision judiciaire.
La session de questions réponses consécutive au panel 1 a été l’occasion pour le Dr Coulibaly Fagneriba et pour Monsieur BOLOU Bi, de répondre aux préoccupations du public. Ces préoccupations se sont articulées autour de l’insuffisance des inspecteurs du travail, de la prise en charge des plaintes pour harcèlement en milieu professionnel, des statistiques sur les jugements rendus en matière sociale et pénale, ainsi que sur la nécessité de sensibiliser davantage sur la lutte contre le harcèlement au travail.
Le Dr Coulibaly, interrogé sur le nombre d’inspecteurs du travail en Côte d’Ivoire, a souligné une insuffisance criante des ressources humaines dans ce domaine, comme dans plusieurs autres secteurs. Il a révélé qu’il y a actuellement un peu plus de 20 inspecteurs et médecins du travail pour un total de plus de 60 000 entreprises. Cette situation rend le travail d’inspection complexe, d’autant plus que la majorité des entreprises comptent moins de 20 salariés, ce qui réduit l’attention accordée à la présence des inspecteurs du travail.
Concernant l’accompagnement des travailleurs ayant porté plainte contre leur employeur pour harcèlement, le Dr Coulibaly Fagneriba a affirmé que ce processus s’effectue dans la plus grande discrétion. L’intervention débute par un contrôle de l’entreprise concernée, au cours duquel des vérifications documentaires et des observations sur les risques psychosociaux sont effectuées. À l’issue de cette enquête, un rapport est établi et publié pour renforcer la protection de la victime et prendre les mesures nécessaires afin d’éviter la répétition de telles situations.
Monsieur BOLOU BI, interrogé sur statistiques concernant les jugements rendus et les motifs des affaires portées devant la Cour de cassation, a précisé que le pôle pénal est plus spécialisé dans ces questions. Il a également mentionné que les affaires sociales nécessitant un traitement approfondi doivent être dirigées vers cette instance.
Enfin, Madame YOBOUET, promotrice du Salon, a fait une contribution qui a mis en relief l’insuffisance d’informations comme facteur clé de la persistance du harcèlement en milieu professionnel. Elle également insisté sur la nécessité d’une sensibilisation accrue au sein des entreprises, avec des messages répétés et accessibles à tous les travailleurs. Pour y arriver, elle a suggéré la mise en place de dispositifs de prévention internes et la diffusion d’informations claires et officielles sur les interdits et les mesures de lutte contre le harcèlement. Elle a encouragé les services publics à publier et vulgariser ces documents afin que chaque employé ait connaissance de ses droits et des recours disponibles.

Allocution de Promotrice du Salon « SACH »
Mme YOBOUET AKISSI YVETTE C’est dans une